Les Brumes du Loch

Il est tard, très tard ce soir de novembre quand je quitte Fort Augustus par une nuit de pleine lune.

J’avais passé la soirée au Lock Inn ou quelques allumés avaient fait un bœuf. La guitare mélangée au son de quelques rythmiques sur cuivre nous avait permis de beugler des chansons qui allaient du standard de Rod Stewart pour finir par quelques chants jacobites qui taillaient entre autres de magnifiques costards à la couronne anglaise.

Je m’étais bien régalé d’un fish and chips maison sur une pinte… Ou deux de Belhaven brune.

Le patron a insisté pour que je m’équilibre avec un dernier glaincairn de Laphroaig d’à peine 15 ans, il n’en fallait pas plus pour refaire minute après minute la bataille de Bannockburn…

Toutefois c’est quand on se met à chanter en gaëlique sans avoir appris la langue qu’on se dit qu’il est temps de rentrer…

Je monte dans ma vieille Volvo P1800 qui tousse un peu. L’humidité de la brume ambiante mélangée à l’huile et l’essence de mon vieux 2 litres carbu qui essaie de cracher une fumée blanche, se distingue à peine dans ce fog qui baigne les 5 écluses du River Oich se jetant dans le Loch Ness.

Je prends la route de Glendoe puis General Wade pour me rendre à Inverness. La norme aurait voulu que je passe par Drumnadrochit au nord du Loch, mais allez savoir pourquoi, je choisis le sud et la difficulté de cette vieille route empruntée par les tuniques rouges en 1746 pour se rendre à Culloden… Mais ceci est une autre histoire…

Je roule dans cette brume épaisse qui recouvre les Highlands vers ma destination. On distingue à peine le bitume humide et irrégulier de cette vieille military road qui finit par me renvoyer sur Foyers à hauteur du vieux cimetière gaëlique pour finalement me faire longer le Loch..

La lune est bien présente et provoque une ambiance particulière. J’ai l’impression que le brouillard forme une rivière dévalant la colline pour ce jeter dans un fossé immense et insondable qui n’est autre que le lit des eaux noires du Loch Ness.

Fatigué, je sens qu’un bon café ou un thé, une boisson chaude me ferait du bien. Je décide donc de me poser à la vieille auberge de Dores.

Je trouve à peine dans cette épaisseur blanche l’entrée de l’auberge en contrebas du petit parking. La salle du bar est petite et basse de plafond, mais contrairement à la batisse, elle est moderne et conviviale. Les amateurs de bière et de Whisky n’ont que l’embarras du choix devant cette espace exigu mais tellement achalandé.

Je m’appuie au comptoir en attendant que la patronne me demande ce que je veux. Un reste de mon expérience irlandaise, « Ne demande jamais à boire dans un pub, le serveur saura quand il doit te servir. Ne touche jamais au verre d’un autre, et n’amène pas de livre. Tu ne viens pas au Pub pour lire, reste chez toi si c’est le cas ».

A ma droite un homme assis au comptoir déguste un burger d’Angus et une pinte de Foster.

Cette homme d’une bonne cinquantaine d’années, aux cheveux gris paraît perdu dans son univers, le regard un peu fou ou plutôt habité.

Je lui lache un « Hy » pour lui dire bonsoir, il me répond d’un mouvement de tête. Il a l’air tellement isolé dans je ne sais quelle planète lointaine. Ses vêtements sont encore un peu humides, un peu fatigués par le temps. Comme s’il avait trekké le long du Loch pendant des jours et des jours avant d’atterrir dans la chaleur de cette auberge.

 

Alors que je bois un thé bouillant tranquille à peine troublé par le brouhaha de la salle mitoyenne, je remarque sur une étagère de petites sculptures de couleurs. Des sortes de serpents au gros yeux avec un aspect humoristique. Je demande à la patronne qu’est ce que c’est ? Alors elle me désigne d’un geste de la tête mon voisin et me dit :

– « Demande à Steve, c’est lui qui les fabrique. »

Steve relève la tête et semble sortir de son univers. Maintenant que celui-ci s’intéresse à ce qui l’entoure, j’en profite pour satisfaire ma curiosité.

– « Qu’est ce que c’est, qu’est ce que cela représente ? »

– « Ben c’est Nessie, oui je sais. Un peu drôle mais je les vends pour financer en partie ma vie ici… »

-Votre vie ici ? »

– « Oui, je me suis posé ici il y a plusieurs années, j’ai décidé de chasser le monstre du Loch. Enfin chasser, je veux prouver au monde qu’il existe, j’ai voué ma vie à cela… »

Et voilà que mon voisin si absent, si lointain il y a à peine quelques instants, m’entraîne dans son monde, intarissable sur cette créature que certains ont juré mordicus avoir vu, d’autres se sont même fendu d’un cliché dont on ne saurait quoi penser.

 

Je ne l’arrête plus ce Steve Feltham, il m’entraîne tellement dans son univers que j’en oublie même de boire mon thé.

Je découvre un homme qui consacre tout à sa passion, qui la vit à tel point que cela est devenu son quotidien, le loch son foyer. Foyer dont il en connaît tout les recoins de Fort Augustus à Inverness, d’Urquart Castle à Dores…

Tour à tour énumérant les théories évoquées même les plus fumeuses, me narrant chaques témoignages, n’épargnant pas non plus les plus farfelus. Les expériences pour trouver le monstre, les flottes de bateaux sondeurs, les tentatives de submersibles, etc.…

Je finis par lui acheter une de ses figurines par envie et plaisir, Ce doux allumé m’a emmené dans son univers à tel point que j’ai presque envie d’y croire. Je l’aurais bien écouté jusqu’au bout de la la nuit mais il se fait tard, et, si je veux rejoindre mon lit chaud qui m’attend à Inverness, il faut absolument que je reprenne la route.

En sortant et avant de remonter en voiture je suis pris d’une soudaine envie de me soulager.

Je marche le long de la berge du Loch. Le sol de gravier rouge brun crisse sous mes pieds, seul le bruit de mes pas retentit dans ce silence lugubre. Comme si le temps c’était arrêté, figé sans un son perceptible sans un mouvement même de l’air.

Les rayons de lune enluminent la brume épaisse sans en révéler le contenu et très vite je ne distingue même plus la lueur de la lucarne de l’auberge en regardant par dessus mon épaule.

Je dépasse la « cabane camping car » de Steve pour m’arrêter une dizaine de mètres plus loin.

Je tourne le dos au Loch et commence à faire mon affaire.

C’est alors que dans ce silence glaçant, j’entends un clapotis qui se transforme en bruit d’eau qui coule en filet d’eau qui s’allongent… Un souffle rauque comme le bruit que font les gros mammifères marins hors de l’eau…

Pris de frayeur, je n’ose bouger si ce n’est que de me rendre diront nous « présentable », ayant terminer ce que j’avais entrepris…

C’est un glissement sur le gravier à peine à quelques mètres de moi vers le bois de sapin. Une masse sombre qui se profile dans l’épais brouillard. Je tourne légèrement la tête et j’ai vu…

2 minutes qui m’ont paru une éternité…

Doucement le temps reprends son cour, je retourne vers ma voiture. Comment pourriez vous… Que dire de…

Je croise Steve Feltham qui me lance un «  Tu es encore là ? » , «  Inutile d’attendre l’ami, tu ne le verras pas du premier coup, moi ça fait 29 ans que je le guette ! Allez rentre chez toi, il est tard »

J’aimerais lui dire mais les mots ne sortent pas et je lui lâche un «  oui c’est vrai, bonne nuit… »

Qu’est ce que j’ai vu ? Mais je ne peux pas vous le dire… Le monstre du Loch Ness est une légende n’est ce pas ? Et puis si cela était vrai, les rives du Loch seraient envahit de gens qui veulent voir non ?

Finalement oubliez toute cette histoire…

Mais n’oubliez pas que la bière et le Whisky se dégustent avec modération, savourer les rêves et apprécier les rêveurs…

Laird Herbert Madaidh-allaidh Glencoe